Abstract
Extra-contractual liability is an important institution recognized in the civil codes of many countries, including the French Republic and Vietnam. It is the obligation to repair the damage that one causes to a third party. Or, it can be defined as the obligation imposed on a person to repair damage suffered by another person. However, in certain cases which are provided for by law, the victim of the damage will not be compensated, for example: force majeure, the fault of the victim, the victim does not apply the necessary and reasonable measures to prevent and limit the damage, etc. This article presents and analyzes the provision relating to the obligation to limit the damages of the victim, within the extra contractual liability, which interests us, in the Vietnamese and French laws in a broad way, that is to say in s relying on the texts of laws, case law and doctrine. This is a new provision, it is derived from British law (the theory of mitigation of damages), and is recognized in the Civil Code of Vietnam since 2015. Meanwhile, in France, in addition to efforts lawyers in the recognition of this provision in French law in the program of legislative reform, this question still comes up against many contradictory points of view. Through this article, the author wishes to contribute to bringing multidimensional perspectives related to the obligation to limit the damages of the victim in extra contractual liability, and at the same time to propose some solutions concerning the types of damage for which the victim is obliged to limit, necessary and reasonable measures, the costs or damages incurred by the victim in order to minimize his damage in order to contribute to the improvement of Vietnam's legal regulations on this issue.
Problématique
En droit de la responsabilité extracontractuelle, celui qui cause à autrui un dommage a l’obligation de le réparer. Toutefois, il existe des causes d’exonération totale ou partielle de l’obligation d’indemnisation dans certains cas prévus par la loi et parfois complétés par la jurisprudence. En droit vietnamien, comme dans de nombreux pays des systèmes de Common Law et de droit civil, une de ces causes d’exonération s’incarne dans l’obligation de la victime de limiter les dommages qu’elle subit. Pour l’obligation de limiter les dommages de la victime, on peut résumer par le terme « mitigation » du latin, mitigare, plus communément connu en pays anglo-saxon sous le terme de « duty to mitigate the damage ». « The duty to mitigate the damage » est une institution essentielle de la Common Law. Elle se traduit par une obligation d’action ou une obligation d’abstention, et ce quel que soit le dommage subi 1 . Cependant, cette obligation n‘existe pas en France.
Une obligation définie un certain comportement à adopter dans une situation donnée. Elle incombe ici à la victime, c’est-à-dire la personne ayant subi le dommage. Ce dernier peut être défini comme la conséquence patrimoniale et extrapatrimoniale d’une atteinte aux biens de la personne ou à la personne elle-même. Il s’agit de le limiter et donc de prendre toutes les mesures nécessaires et rationnelles pour éviter son extension ou aggravation.
Alors que cette obligation est apparue au Vietnam en droit de la responsabilité délictuelle avec le nouveau Code civil de 2015, elle n’existe pas en France, sauf dans le droit de la vente internationale de marchandises, depuis l’adoption de l’article 77 de la Convention de Vienne de 1980. La France pourrait cependant bien finir par rejoindre le Vietnam concernant la consécration de cette obligation, comme le prévoit par exemple le Projet de réforme de la Responsabilité civile du 13 mars 2017 2 .
L’intérêt juridique du sujet est évident, mais il existe également un caractère social et économique quant à la protection de la victime et aux dommages-intérêts à verser. La solution vietnamienne et la solution française étant alors pour le moment éloignées, il est permis d’observer cette différence, en cherchant à comprendre la situation de cette obligation dans les deux pays et les enjeux qu’elle soulève.
Méthodes de recherche
L'article utilise des méthodes d'analyse, de comparaison, de commentaire, de synthèse,… des dispositions de la loi des deux pays, la Républiques française et le Vietnam relatives à l'obligation de limiter les dommages de la victime en responsabilité non contractuelle. Sur cette base, nous proposerons un certain nombre de solutions pour améliorer les dispositions juridiques du Vietnam sur cette question.
Résultats de la recherche et discussion
En quoi la comparaison des droits vietnamien et français permet-elle de constater la résurgence contemporaine de l’obligation de la victime de minimiser ses dommages ?
Dans un premier temps, il s’agira de constater l’opposition entre le droit vietnamien et le droit français concernant l’obligation en cause (1). Ensuite, nous verrons que peu importe son origine, cette obligation est d’actualité (2).
Deux droits positifs opposés
Les droits positifs vietnamien et français sont opposés sur le sujet. En effet, alors que le Vietnam a consacré l’obligation pour la victime de limiter ses dommages, la France ne la reconnait toujours pas (1.1). De plus, on peut observer sa construction contemporaine au Vietnam, mais une stabilité en France (1.2).
Une consécration de l’obligation face à son rejet
Les droits vietnamiens et français s’opposent quant à leur reconnaissance de l’obligation pour la victime de limiter ses dommages. L’article 585 alinéa 5 du Code civil vietnamien de 2015 dispose qu’ « une partie dont les droits ou avantages ont été violés n’est pas indemnisée si la perte ou le dommage résulte de la non-application des mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir ou atténuer la perte ou le dommage subi par cette partie » [ 3 , article 585, alinéa 5]. Cela signifie que si la partie lésée viole son obligation, c'est-à-dire qu'elle n'applique pas les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir ou limiter son dommage, comme en le laissant s’aggraver ou en agissant avec indifférence, elle ne sera pas indemnisée pour la partie du dommage qui se produit de ce fait. Il s'agit d'un nouveau principe de réparation des dommages consacré en droit de la responsabilité délictuelle en 2015 au Vietnam afin de concrétiser l'un des principes fondamentaux du droit civil précisé à l'article 3 du Code civil vietnamien de 2015 : « Les personnes physiques et morales doivent établir, exécuter, mettre fin à leurs droits civils et obligations de bonne foi et avec honnêteté » [ 3 , article 3].
La Réforme de 2015 étant encore récente, et son entrée en vigueur le 1 er janvier 2017 l’étant davantage, la jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de préciser clairement les contours de cette obligation. Il existe tout de même quelques arrêts appliquant le nouvel article 585 alinéa 5. Un arrêt sur l’indemnisation des dommages causés par l’atteinte à la santé 4 en est une illustration. En l’espèce, une femme n’avait pas informé ses collaborateurs de son hospitalisation ce qui mena à une perte pécuniaire. Elle n’avait ainsi pas limité les dommages subis. Elle ne disposait en fait pas de solutions, comme les informations de contact, pour les avertir. L’exonération de responsabilité sur le fondement de l’article 585 alinéa 5 du Code civil de 2015 ne pouvait alors pas être retenue. On observe donc que le fait de ne pas avoir, en amont même du dommage, pris des mesures en prévention d’un éventuel empêchement, comme en demandant aux collaborateurs leurs informations de contact, ne rentre pas dans la définition des mesures nécessaires et raisonnables de l’obligation. Malgré cet arrêt, les justiciables n’ont pas pour l’instant une vue précise sur les modalités de l’obligation posée à l’article 585 alinéa 5 du Code civil. Cependant, cela ne peut que progresser et aller de l’avant.
Le droit français, lui, procure une grande prévisibilité dû à son refus stricte de l’application d’une telle obligation. Les prémices de ce dernier apparaissent dans un arrêt du 19 mars 1997 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation 5 . En l’espèce, la victime d’un accident a refusé des soins de nature à améliorer son état. Ce comportement était fondé sur le droit intangible au respect de son intégrité corporelle [ 2 , article 16-1]. L’affirmation du refus s’est ensuite trouvée dans un arrêt du 19 juin 2003 de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation 6 . Il confirme en effet que le choix de ne pas agir pour limiter le dommage n’est pas une faute et ne rompt pas le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage que la victime subit, en se fondant sur le principe de la réparation intégrale du préjudice. La portée de cet arrêt est très large en déclarant que « l’auteur d’un dommage doit en réparer toutes les conséquences, la victime n’étant pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». Cette solution n’admet pas de tempérament, elle s’applique pour tous les dommages sans considérer les actes de minimisation réalisables. La doctrine a pu critiquer cette portée très générale jugé excessif, notamment lorsqu’il s’agit, non pas de réduire le dommage réalisé, mais seulement de veiller à ne pas l’aggraver. Malgré cela, la Cour de cassation n’a pas effectué de revirement de jurisprudence. De plus, aucun signe ne laisse penser que cela arrivera sans une réforme consacrant l’obligation de minimiser ses dommages. Cette nouvelle obligation ne serait très probablement pas rétroactive, on peut donc considérer que la jurisprudence française est stable en la matière et permet une forte prévisibilité, et cela encore pour au moins quelques années. En France, le refus des juges est catégorique. Dès lors, si une réforme a lieu pour inclure cette obligation au droit positif français, les modèles vietnamiens et français n’auraient pas eu le même cheminement.
On observe alors la consécration de l’obligation en droit vietnamien et son rejet en France. La reconnaissance vietnamienne étant encore récente, elle connaît actuellement des enjeux concernant son interprétation, alors que la solution française est d’une importante stabilité.
Le façonnement de l’obligation face à sa stabilité
L’obligation de limiter les dommages de la victime en droit de la responsabilité délictuelle, consacrée au Vietnam lors de l’adoption du nouveau Code civil de 2015, soulève des incertitudes quant à son application. En France, bien que inexistante pour le moment, elle a pu soulever quelques interrogations, qui restent cependant faibles.
L’application de l’article 585 alinéa 5 du Code civil de 2015 n’est en effet pas certaine. En effet, on peut se demander si tous les types de dommages sont concernés, quelles définitions retenir pour les termes nécessaires et raisonnables, si les coûts engendrés par l’obligation seront compensés ou non et si oui avec quelles limites, etc.
Dans un souci de meilleure compréhension et d’unicité dans l’application de la loi, le Conseil judiciaire du Tribunal populaire du Vietnam a publié la Résolution n 0 02/2022/NQ-HĐTP guidant l'application d'un certain nombre de dispositions du nouveau Code civil sur la responsabilité en matière d'indemnisation pour les dommages extracontractuels [ 7 , article 3, alinéa 5]. Il considère, concernant l’article 585 alinéa 5 du Code civil de 2015, qu’il incombe à l’auteur du dommage de prouver ce qui suit : « la victime peut connaître et prévoir le dommage qui se produit », qu’elle « dispose de conditions suffisantes pour empêcher ou limiter le dommage » et qu’elle « a laissé le dommage se produire ». Cela est sans aucun doute utile, mais ne répond pas à toutes les interrogations soulevées. Ainsi, en plus des efforts des juristes pour préciser les contours de l’obligation de limiter les dommages de la victime, on observe qu’elle est en effet en pleine phase de façonnement.
En droit français, les interrogations sur le sujet se font plus rares. Certaines particularités concernant le comportement de la victime méritent tout de même une certaine attention. On peut également noter que la jurisprudence a pu être hésitante, bien que cela ne fut que passager et rapide.
Lorsque l’auteur du dommage cherche à s’exonérer entièrement ou partiellement de sa responsabilité, le comportement de la victime n’est tout de même pas ignoré en droit français. En effet, la faute de cette dernière est prise en compte et permet souvent d’exonérer en tout ou en partie l’auteur du dommage de sa responsabilité. Cependant, à la différence de l'obligation de limiter le dommage, la faute de la personne lésée doit avoir contribué au dommage, et donc survenir en amont ou simultanément à la faute de l’auteur du dommage. Il est alors possible d’envisager que le manquement à l'obligation de limiter son dommage puisse entrer dans la définition de faute de la victime lorsqu’il apparaît avant même que le dommage ne se produise et donc dans certaines conditions bien précises.
Concernant la jurisprudence, le refus catégorique de l’obligation de minimiser les dommages de la victime affirmé en 2003 6 a été un temps ébranlé par une décision de 2011 8 , venant suggérer, mais d’une manière implicite, que cette obligation pesait sur la victime par le biais de la notion de faute de la victime. Cependant, les juges sont venus réaffirmer leur position de 2003 dans deux arrêts de 2014 et 2015 9 . Depuis, les décisions de justice sont claires : l’obligation pour la victime de limiter ses dommages n’existe pas, et cela sur le fondement du principe de la réparation intégrale du préjudice.
On observe alors que l’obligation de limiter les dommages de la victime en droit vietnamien n’est pas encore parfaitement définie bien qu’elle connaisse ses principales caractéristiques. En droit français, son application est plus claire, étant donné qu’elle est mise de côté. On observe alors des droits positifs bien différents. Cependant, cette obligation est d’actualité, c’est-à-dire que l’intérêt qu’elle suscite a resurgi ces dernières années, et dans les deux pays.
Une obligation d’actualité
L’obligation de la victime de limiter ses dommages est d’actualité et cela se traduit par des évolutions contemporaines dont elle fait l’objet (2.2), faisant suite à la considération des intérêts légitimes, en d’autres mots les avantages et inconvénients, expliquant sa consécration d’un côté et son rejet de l’autre (2.1).
Des intérêts légitimes
En s’intéressant à la raison d’être de l’obligation pour la victime de limiter ses dommages, on comprend pourquoi elle a été retenue dans le nouveau Code civil vietnamien de 2015. Bien entendu, il existe également des contre-arguments à sa consécration.
Au sein des Etats reconnaissant l’obligation de minimiser les dommages, on peut s’attendre à une limitation plus automatique de ces derniers par la victime. Elle contribue donc à réduire les dommages en général, et apparaît comme une obligation utile inscrite dans un droit solidariste. D’un point de vue économique, elle garantit des avantages pour l’ensemble de la société et, d’un point de vue moral, elle permet de promouvoir la responsabilisation de la victime et sa bonne foi.
Cette obligation permet également une certaine prévisibilité pour l’auteur du dommage quant à ce qu’il devra réparer, et de ne pas se retrouver, en fonction du comportement de la victime, dans des situations pouvant grandement varier. Toutefois, on peut également considérer que, dans tous les cas, lorsqu’on cause un dommage, on ne peut réellement prévoir l’étendue qu’il aura.
La preuve de la non limitation qui aurait dû avoir lieu incombe évidemment à la personne à l’origine du dommage, cela ne pourrait se transformer en présomption au détriment de la victime. Un équilibre doit en effet être recherché entre les intérêts de cette dernière et ceux de la société. Pour l’atteindre, il pourrait sembler à première vue opportun d’appliquer l’obligation qu’aux cas où la personne responsable de la réparation des dommages ne serait pas fautive. Cependant, la victime ne saurait pas si l’obligation lui incombe ou non, n’ayant pas le pouvoir de trancher d’elle-même sur le caractère fautif ou non de cette personne.
La responsabilité civile extracontractuelle a avant tout une fonction réparatrice. La réparation intégrale du dommage de la victime sans prendre en compte son comportement ayant pu l’aggraver semble alors opportune. Cependant, il ne faut pas oublier que derrière la réparation se trouve l’auteur du dommage n’ayant souvent pas eu l’intention de le commettre. Dès lors, ce dernier serait pénalisé du fait du comportement de la victime sur lequel il n’aurait aucun contrôle. L’obligation pour la victime de limiter son dommage apparait alors nécessaire.
On peut également voir dans cette obligation une réglementation punitive pour la victime et préférer l’écarter, comme le fait la France. On observe d’ailleurs des évolutions françaises en responsabilité extracontractuelle allant dans le même sens de protection de la victime. C’est le cas à la fois de la part du législateur, par exemple par la loi Badinter de 1985 sur les accidents de la circulation, par laquelle la faute de la victime non conductrice ne suffit plus à s’exonérer même partiellement de sa responsabilité, elle doit être inexcusable, c’est-à-dire être un fait volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, voire intentionnelle pour certaines personnes privilégiées, c’est-à-dire qu’il incombera au conducteur de prouver que la victime avait le souhait de commettre la faute et le dommage tels qu’ils se sont produits. Dans la pratique, ces fautes particulières sont très rarement retenues. C’est le cas également en jurisprudence, qui considère qu’un fait licite même souhaitable d’un enfant causant un dommage peut entraîner la responsabilité de ses parents pour indemniser la victime 10 . La solution appliquée en France concernant l’obligation pour la victime de limiter ses dommages semble alors cohérente lorsqu’elle est confrontée au reste du droit de la responsabilité délictuelle.
On peut se demander de quelle manière la France justifie légalement sa position. Alors qu’il est soutenu au Vietnam que par son action ou son inaction la victime qui augmente son dommage rompt le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur, le droit français a su écarter cette approche. En fait, le refus de l’obligation de limiter le dommage de la victime trouve son fondement dans le principe français de la réparation intégrale du préjudice subi. Ce principe s’appuie sur l’article 1240 du Code civil français qui dispose que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » 11 . La Cour de cassation explique que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage, et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit » 12 . Il existe bien sûr des causes d’exonération spécialement prévues mais qui ne comptent pas parmi elles l’obligation en cause. Cependant, ce fondement n’est pas incontestable. En effet, si cette règle implique de réparer la totalité du préjudice subi, encore faut-il, aux fins d’exclure cette obligation, que la réparation intégrale du dommage soit admise en totale indépendance avec le comportement de la victime dans la période postérieure au fait dommageable, mais cela ne fut jamais formellement justifié par la jurisprudence.
Protéger à tout prix la victime, ou, en plus du dommage qu’elle subit, lui imposer une nouvelle obligation ? Le professeur Aude Denizot a considéré, au-delà des causes d’exonérations, qu’ « à vouloir trouver systématiquement un responsable, le droit s’enlise ». Si notre société souhaite une grande protection des victimes, elle ne doit pas coûte que coûte chercher un responsable, mais s’organiser intelligemment afin de veiller à une indemnisation acceptable et juste des dommages 13 . Il pourrait s’agir par exemple d’une socialisation de la réparation des dommages.
Il existe donc des justifications à la reconnaissance et au refus de l’obligation pour la victime de limiter ses dommages. Ces dernières sont particulièrement importantes depuis quelques années au Vietnam et en France car cette obligation se trouve au cœur de réformes, signe d’évolutions contemporaines.
Des évolutions contemporaines
L’application de l’obligation de limiter les dommages de la victime ne stagne pas dans le temps. Dans le cas des deux Etats qui nous intéressent, des réformes modernes, une qui a été adoptée au Vietnam en 2015 et une autre en France qui est encore au stade de projet, visent à modifier le droit positif au regard de cette obligation.
Avant la Réforme en 2015 au Vietnam, l’obligation de limiter les dommages de la victime existait déjà à l’article 305 de la Loi commerciale de 2005 qui dispose que cette dernière « doit prendre les mesures raisonnables pour limiter la perte, y compris le gain manqué » et qu’en guise de sanction « l’auteur du dommage peut demander une réduction des dommages-intérêts égale au montant de la perte qui aurait dû être évitée » 14 . A noter toutefois qu'en théorie cette disposition ne s'applique qu'aux contrats commerciaux.
La Réforme de 2015 reconnaît expressément, avec une portée cette fois générale, le devoir de limiter le dommage. C’est le cas à la fois pour la responsabilité contractuelle à l’article 362 du Code civil et pour la responsabilité extracontractuelle à l’article 585 alinéa 5. Cette évolution imite une grande partie des solutions retenues sur le sujet dans de nombreux pays des systèmes de Common Law et de droit civil. Elle a été possible car rien dans le droit vietnamien ou sa tradition ne faisait réellement obstacle à l’insertion de l’obligation pour la victime de limiter ses dommages dans les textes, surtout lorsqu’on considère que la jurisprudence avait tendance à déjà l’appliquer.
L’obligation de limiter le dommage de la victime fait cependant l’objet d’un grand débat en doctrine en France. Alors que la jurisprudence s’est toujours prononcée contre cette obligation, les avant-projets de réforme de la responsabilité extracontractuelle tendent plutôt vers sa reconnaissance, s’alignant ainsi sur la majorité des droits étrangers.
L’article 1263 du Projet de réforme de la Responsabilité civile française 2 , présenté le 13 mars 2017, dispose que « Sauf en cas de dommage corporel, les dommages et intérêts sont réduits lorsque la victime n’a pas pris les mesures sûres et raisonnables, notamment au regard de ses facultés contributives, propres à éviter l'aggravation de son préjudice ». Une exception aux dommages à limiter est alors prévue : celle du dommage corporel. Du fait de la mention de cette dernière, on peut se dire que l’article est limitatif et qu’il n’en existerait pas une autre s'il venait à être adopté. Le même débat qu’en droit vietnamien aurait lieu sur la définition des termes utilisés, ici « sûres et raisonnables ». L’évaluation des « facultés contributives » serait aussi à déterminer.
On peut à présent se demander ce qui explique le possible passage actuel vers cette obligation qui n’a pourtant jamais été réellement envisagée en France jusqu’à récemment. Mazeaud et Tunc expliquent qu’ « autrefois, la victime avait grand peine à obtenir réparation, tenue qu’elle était toujours d’établir la faute de celui qu’elle assignait ; mais quand elle avait fait cette preuve, les tribunaux se montraient difficiles pour décider qu’elle était elle-même en faute » 15 . La situation de la victime était peu confortable et le droit se préoccupait davantage de l’auteur du dommage dont il s’agissait de sanctionner la faute. Alors, comme l’a écrit Stéphan Reifegerste, « Dans le contexte des idées qui gouvernaient traditionnellement le droit français de la responsabilité, l’obligation de minimiser le dommage avait fort peu de chances de se développer » 16 . Toutefois, avec le temps et les évolutions juridiques, comme les présomptions de responsabilité, la situation de la victime s’est nettement améliorée. Il fut alors davantage possible de prendre en compte son comportement comme élément modérateur. De plus, le développement juridique tend vers une plus grande solidarité. Cette dernière est davantage visible en matière contractuelle. Denis Mazeaud a exprimé cette idée : « loyauté, solidarité, fraternité », voilà la « nouvelle devise contractuelle » 17 . Cependant, il existe une forte identité partagée des règles régissant la réparation du dommage dans les deux ordres de responsabilité. Ainsi, l’obligation de minimiser son dommage prenant en compte le comportement de la victime et s’inscrivant dans un droit solidariste, il est aujourd’hui possible de l’envisager en droit français.
Conclusion
En droit vietnamien comme en droit français, l’obligation pour la victime de limiter ses dommages a trouvé sa place dans les réformes modernes, et dans le sens de sa consécration. Apparue dans les textes en droit extracontractuel au Vietnam en 2015, elle pourrait bien l’être dans quelques années en France. On observe bel et bien la résurgence contemporaine de l’obligation pour la victime de limiter ses dommages. Cependant, on peut voir que les dispositions de la loi vietnamienne sont encore en pleine phase de façonnement. Puisque cette obligation est encore assez récente, il est nécessaire de poursuivre les recherches, en comparaison avec les lois d'autres pays, pour améliorer les dispositions sur cette question.
De l'analyse mentionnée ci-dessus, nous réalisons que les questions suivantes doivent être complétées :
D’abord , concernant les types de dommages, il est rappelé qu’ils ne sont précisés que pour l’indemnisation des dommages due à la contrefaçon de bien [ 3 , article 589, alinéa 3] et causés par l’atteinte à l’honneur, à la dignité et à la réputation [ 3 , article 592, alinéa 1, point a]. L’auteur conseille à la résolution de prévoir des précisions sur cette question et rappelle la tendance reconnue dans les autres pays qui est de ne pas tenir compte de cette obligation en cas d’atteinte à la vie et à la santé, sur le fondement des dispositions relatives au droit à la liberté et à la sécurité corporelles et à l’intégrité du corps [ 3 , article 33].
Ensuite , concernant les mesures nécessaires et raisonnables, on recommande une réglementation détaillée sur cette question, en rappelant la menace de l’arbitraire et de la subjectivité, bien qu’il soit également possible de défendre le rôle interprétatif du juge malgré ces craintes.
Enfin, l’autre problème se pose, lorsque la victime a limité le préjudice, comment sera évalué le dommage indemnisé ? La victime sera-t-elle indemnisée pour l’intégralité du préjudice initial causé par l'acte illégal ou ne sera-t-elle indemnisée que pour les dommages inévitables ? À notre avis, les mesures raisonnables prises par la victime dans le but de minimiser ses dommages constitueraient des événements qui ne sont nouveaux par rapport à la faute ou au dommage et doivent être pris en compte dans l'évaluation des dommages. Par conséquent, le dommage que la victime a évité n’est pas indemnisé.
Cependant, il serait injuste que la victime ne reçoive pas l'intégralité des dommages au motif qu'elle a été diligence et qu'elle a limitée elle-même les dommages. La solution inverse l'empêcherait probablement d'effectuer lui-même les mesures raisonnables pour limiter ses dommages. Par conséquent, pour garantir l'équité, nous devons envisager une compensation pour le coût des mesures raisonnables.
Habituellement, le coût des mesures raisonnables qu'une victime prend pour minimiser le dommage sera inférieur au dommage évitable. En général, les actions de la victime contribueront à réduire les dommages. Cependant, ce n'est pas toujours. Dans certains cas, le coût des mesures raisonnables pour prévenir les dommages est supérieur au dommage évitable. Dans ce cas, on constate que l'action de la victime est inefficace, elle ne réduit pas le dommage et l'aggrave plutôt. La question est de savoir si ce coût sera indemnisé ou non ?
À notre avis, tant que les mesures prises par la victime sont jugées raisonnables, la victime sera indemnisée. Dans ce cas, l'obligation de limiter le dommage doit être considérée comme une obligation de moyens et non comme une obligation de résultat. Autrement dit, la victime n'est pas obligée d'atténuer efficacement les dommages. La victime n'est tenue que d'employer des moyens raisonnables et de s'efforcer de minimiser son dommage. Le résultat de la prise de cette mesure ne devrait pas affecter le droit de la victime à une indemnisation intégrale de son préjudice. Une fois que les frais exposés par la victime en vue de minimiser son dommage sont raisonnablement supportés, la victime sera indemnisée pour le dommage initial ainsi que pour le coût des mesures raisonnables et le nouveau dommage causé par des mesures raisonnables pour limiter le dommage initial.
LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES
AL Jurisprudence
Ass. Plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation
Cass. civ. 1 Cour de cassation Chambre civile, première Chambre
Cass. Civ. 2 Cour de cassation Chambre civile, deuxième Chambre
DS-PT CIVIL- APPEL
ĐHQG TP.HCM Université nationale du Vietnam, Hô-Chi-Minh-Ville
JCP Jurisclasseur périodique (Semaine juridique)
n° Numéro
NQ-HĐTP Résolution du Conseil judiciaire de la Cour populaire suprême du Vietnam
p. Page
RTDCiv. Revue trimestrielle de droit civil
DÉCLARATION DE CONFLIT D’INTÉRÊTS
« Les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêts »
DÉCLARATION DE CONTRIBUTION DES AUTEURS
- L'auteur Huynh Thi Nam Hai est responsable du contenu de la loi vietnamienne et de l'édition de l'article.
- L'auteur Vanessa DEMEY est responsable du contenu de la loi française.
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